Opinions libres


L’angle mort

« Dans une voiture, le conducteur dispose de plusieurs champs de vision naturels, complétés par les rétroviseurs du véhicule. Or, certaines zones sont invisibles.  Dans ces espaces de non visibilité, l’automobiliste ne voit pas les autres usagers de la route, ce qui a pour conséquence d’augmenter considérablement le risque et la gravité de l’accident. »


C’est ainsi que le code de la route définit l’angle mort.
« Zone invisible » pour le conducteur qui doit redoubler d’attention. Danger pour le piéton, le cycliste ou l’autre véhicule, tous vulnérables et soumis à la précaution de l’automobiliste détenteur de son permis de conduire.

Plusieurs rapports [1]sur le suicide reprennent ce terme « d’angle mort » pour qualifier l’acte suicidaire. Comment qualifierait-on autrement ce tabou qui ronge silencieusement les sociétés de cette planète ? Car aucun continent n’est épargné malgré les a priori et en dépit des vœux pieux. Subrepticement, les chiffres tombent et les ignorer ne règle rien. Ils révèlent des données qui bousculent les certitudes et obligent à l’effort de recherches pour comprendre. La société, devrait-elle donc, imiter le conducteur avisé ? 

Je reprends le code et ce qu’il préconise pour éviter le drame provoqué par l’angle mort : « il est impératif pour tout conducteur de pivoter la tête avant de tourner à gauche ou à droite, de même qu’avant un dépassement ou une insertion sur voie rapide. Le contrôle d'un angle mort est donc un contrôle direct, comme le contrôle au travers du pare-brise ou d'une vitre. A l'opposé, le contrôle via un rétroviseur (intérieur ou extérieur) est appelé un contrôle indirect. »… Dans ce cadre, nous sommes bien au cœur d’une prévention du danger direct et indirect.

Suivons le cadre. Ainsi, à l’image du conducteur du véhicule à la sortie d’un stationnement, engagé dans un changement de fil, dans une insertion sur une autoroute ou devant tenir compte d’usagers vulnérables, la société organisée ne peut faire l’impasse de l’angle mort pour mener au mieux sa manœuvre. Pays à l’arrêt pour cause de pandémie, de crise ou de catastrophe, s’engageant sur la voie d’un développement ou en pleine croissance économique, devant composer avec des entités massives macroéconomiques ou prendre en compte le micro et les citoyens vulnérables, comment composer avec l’angle mort, le suicide de populations ? Un suicide particulièrement nocif aux conséquences étendues et générationnelles insoupçonnées, en tenant compte du phénomène de contagion suicidaire (on considère qu’un suicide endeuille en moyenne sept proches et impacte plus de 20 personnes)[2], de manière directe (violence ultime contre soi-même) mais aussi indirectement, via les addictions aux substances illégales, l’exil désespéré, l’engagement sectaire. Autant de pertes irrémédiables au sein de familles qui seront perturbées, de structures professionnelles traumatisées, de sociétés amputées.

Revenons au code : « Ainsi, pour éviter les accrocs, il est impératif pour tout conducteur de pivoter la tête avant de tourner à gauche ou à droite… ». Observer pour prévenir. Rapports de structures institutionnelles de santé publique et d’observatoires nationaux, comptes rendus de terrain d’associations habilitées, témoignages répertoriées dans le cadre de recherches conventionnelles. Tenir ainsi compte de l’existant pour recadrer les politiques afin qu’elles soient efficaces pour protéger toutes les populations, un des rôles premiers de tout état organisé…

Mais revenons à notre illustration : cette responsabilité vis-à-vis de son angle mort n’incombe-t-elle qu’au « conducteur » concerné ?
Certainement pas.
Ce dernier n’est-il pas inclus dans un ensemble ? Il roule dans une circulation ou sur des voies praticables qui lui sont antérieures, avec des repères et des panneaux correspondant à une législation, dans un pays lui-même compris dans un ensemble de nations sur cette planète. Nécessité d’une cohésion fut-elle minimale. Ainsi, si le conducteur se doit de respecter les règles du code de la route de l’endroit où il roule pour assurer sa sécurité et celle des autres, de même, tous ceux qui l’entourent ont aussi leur responsabilité. Implications des autres conducteurs, quelles que soient leurs nationalités, des piétons, cyclistes (dans certains pays, existent à titre informel des permis piétons[3] et vélos), mais aussi, responsabilité des administrations et polices de route, qui doivent s’assurer de travaux et de la sécurité des voies. Ainsi se déclinent maints plans d’action de structures de santé englobant plusieurs états pour coordonner les activités sur le terrain (tel le rapport mondial sur l’état d’urgence lié au suicide écrit en 2014 par l’organisation Mondiale de la Santé[4]), pour comparer les résultats et définir les éventuelles meilleures voies de prévention, mais aussi responsabilité des populations et des particuliers à travers le devoir d’information. Suis-je dans une position vulnérable qui me mettrait en danger ? Puis-je interpeller le conducteur si lui, ne voit pas que je suis en danger dans son angle mort ? Oui. Mais dans quel état suis-je, en ai-je les moyens ? Et si non, qui pourrait m’aider à relayer l’appel ?

C’est bien là toute la simplicité complexe de la prévention du suicide ; la nécessité d’une « prévention partagée du suicide »[5].

Oui, sur la route de la vie, nous avons besoin les uns des autres, efforts de cohésion, à tous les plans, à tous les niveaux pour éviter certaines morts par suicide, d’individus, d’inconnus, d’amis, de membres de famille, qui, se sont tus, inaudibles, dans le drame.

Christina Goh
Article écrit dans le cadre du projet Ut Fortis



[2] « On considère qu’un suicide endeuille en moyenne sept proches et impacte plus de 20 personnes. Or, il est démontré que le risque de suicide augmente significativement dans l’entourage d’une personne suicidée (famille, camarades de classe, collègues de travail, etc.) », écrit le professeur Pierre Thomas, chef de pôle de psychiatrie au CHRU de Lille, dans un numéro spécial du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) rendu public mardi 5 janvier par Santé publique France.

[3] Le « Permis piéton » pour les enfants est un programme national de prévention du risque piéton lancé en novembre 2006.Ce dispositif éducatif est mis en oeuvre par les gendarmes, les policiers, l’Association des maires de France et l’association Prévention MAIF. https://www.securite-routiere.gouv.fr/les-differents-permis-de-conduire/apprendre-tout-au-long-de-la-vie-attestations-et-3

[4] Organisation mondiale de la Santé. (‎2014)‎. Prévention du suicide : l'état d'urgence mondial. Organisation mondiale de la Santé. https://apps.who.int/iris/handle/10665/131801

[5] https://www.unps.fr/unps_images/jnps-2023/communique-de-presse-jnps-2023.pdf

Source illustration : https://www.codeclic.com/code-de-la-route/angle-mort.html 




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Sensible silence



L’échec à un examen, le premier coup d’une attaque verbale ou physique, la perte irréparable matérielle, la déclaration de faillite d’une entreprise ou d’une réputation, la séparation brutale d’un proche, l’annonce de la mort d’un être cher, l’annonce d’une catastrophe naturelle mortelle…
Aviez-vous remarqué le silence absolu juste après ? En soi ? Une fraction de seconde.
La tétanie qui succède au choc ?
Un si court mais tellement profond silence…

Oui, ce silence… Avant toute réaction. 
Bien sûr viendra la larme qui féconde ou le cri de détresse ou de rage, ou encore la main tendue, ou le coup contre l’autre ou contre soi-même… Mais le silence... Qui l'entend ?

Fragile silence…Presqu’imperceptible… Pudeur d’une fraction de seconde, dans laquelle réside l’indicible de ce qu’on appellerait humanité ; douleur indescriptible et horrible, écho d'un intime absolu. Il se révèle brutalement à soi-même. On ne soupçonnait même pas son existence, non, pas avant d’avoir si, tellement mal. Et dans cette continence terrible, dans la chambre haute chauffée à blanc de son intérieur, avant de basculer dans le vide par l’action ou dans les limbes de la folie, oui, dans cette intensité paradoxalement silencieuse, réside en une seconde d’éternité, ce qui nous dépasse depuis toujours : la vie elle-même. Pourquoi suis-je là à cet instant ?
 
C’est l’horrible vérité du terre à terre : A-t-on jamais décollé ? S’est-on jamais élevé ?
La réalité de l’humilité intrinsèque de l’humain.
Humilité, du latin humilitas (dégradation), dérivé de humus (terre). Fragile ! Attaché à la terre, à sa rudesse, à la poussière ! Comment réagir à l’impuissance, aux limites de l’espèce ? Qui a jamais respecté le silence du condamné à mort ? Ô implacable grande histoire quand « l’échafaud est le seul édifice que les révolutions ne démolissent pas. » [1] 
Et à l’intérieur de soi, devient vite insupportable le sensible silence qui suit le choc et sa douleur. Qu’on souhaite de plus en plus court. A vouloir qu’il disparaisse, ainsi que l’humilité et l'univers fruste qui lui est attaché. D.O.U.L.E.U.R.
SURMONTER CE SILENCE tout de suite, vite, vite pour pouvoir s’envoler pour une réalité hors sol ; là-bas, parmi les nuages divers de fantasmes où celui qui est différent n’a pas de consistance, n’est plus Homme mais Objet dont on doit se débarrasser. Déshumanisation de l’autre, de soi-même, de tous. JUSTE AVOIR MOINS MAL. Pour l'illusion d'avoir briser le cycle mortel…
Or le désespoir est une tombe. 

Quand la souffrance tient l'âme coite, combien de pulsations [2] dans le corps en vie habitent le silence ?
Elles renouvellent l'essence, témoignent du mystère qui coule dans les veines, nourrissent l'être entier en une fraction de seconde.
Ainsi, rassembler les forces de ce qui compose le vivant... 

L’échec à un examen, le premier coup d’une attaque verbale ou physique, la perte irréparable matérielle, la déclaration de faillite d’une entreprise ou d’une réputation, la séparation brutale d’un proche, l’annonce de la mort d’un être cher, l’annonce d’une catastrophe naturelle mortelle…

Silence.



Christina Goh
Cet article en version audio sur le Podcast "Entre les lignes".



[1] Citation extraite de l'ouvrage "Le Dernier Jour d'un Condamné" (1829) de Victor Hugo
[2] "A la sortie du cœur, il (le sang) s'engage dans l'aorte à la vitesse de 33 cm par seconde, puis ralentit jusqu'à 0,3 cm à la seconde lorsqu'il atteint les capillaires." Source 



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Avec mes excuses...
Légende, Père Noël et âgisme


Croire au Père Noël…
Entre stéréotypes, évolution des mœurs, confrontations des civilisations, petite et grande histoire, le Père Noël de l'enfance, comme celui des grands magasins a perdu quelque peu son éclat.
Entre franches moqueries, défiances ou accusations de servir la logique mercantile, l’homme à la barbe blanche semble avoir fait son temps.

Et pourtant ?

Comment a pu s’inscrire au travers des siècles, cette image d'une figure de vieillesse faisant le compte de bonnes actions pour une récompense ? Je laisse avec respect les experts le décliner [1], les lignes qui vont suivre constituant plutôt une très naïve même si assumée, rêverie…
Et je m’excuse déjà pour l’épreuve de cette confidence intime émanant du plus profond de mes abstractions. Mais je ne peux me retenir plus longtemps. Oui, je confesse qu’il est possible en mon sens, qu’un sage, sans âge, puisse tenir la distance et vivre autrement ce qui est appelé le temps de la retraite.

Ainsi, dans l'absolu de cette douce divagation, ce dit sénior, a choisi avec joie et depuis longtemps de prendre soin de l’enfance en toute innocence ; par simple empathie, sans compter ses efforts. Il se soucie très sérieusement du sort des plus fragiles, scrute avec réserve les actions jour après jour, espérant pour les plus petits le meilleur, mais sans jamais obliger qui que ce soit. Parents parfois surmenés ou endettés mais il s’assure de faire en sorte que les enfants qui essaient de bien faire, ne soient pas trop découragés, déprimés toujours plus, par les contraintes de vie, en offrant un cadeau. Juste un.  
Souvent symbolique, ingénu, du cœur. A chacun.

Humble cependant, ce héros invisible s’arrange toujours pour que son don soit pris comme un bon tour du destin, pour passer en toute discrétion et ne pas perturber l’équilibre des familles, quelles qu’elles soient. Car, chut ! Son but ultime serait qu’à la fin d’une période déterminée et au début d’une autre, que dans cet entre-deux, détour d’un changement de saison, entre ombre et lumière, que le maximum de personnes volontaires puisse enfin trouver un peu de répit. Recevoir, pour être en mesure de pouvoir donner.

Et ce « vieux », qui ne remplirait aucun des critères de séduction en tendance, parce qu’il est maternel,  âgé, obèse et trop gentil, considéré par le plus grand nombre comme impuissant, inutile, lent, instrumentalisé et faible, serait pourtant celui qui aurait tout compris : compris que le plus important, c’est la sérénité des enfants, quand ils comptent. Vraiment. Et les plus petits sentant comme un monde plus apaisé, y croiraient de toutes leurs forces.

Oh ! La sagesse de la vieillesse serait donc agissante ?
Oh ! La jeunesse pourrait donc savoir ?

En effet, dans ce mirage qui s’estompe peut-être, les actions, qui rendent discutable l’adage « Si jeunesse savait... Si vieillesse pouvait » [2] avec joie et tendresse, tout en couleurs, friandises et lumières, ne se déroulent-elles pas sur tous les continents, suivant le soleil des calendriers, répertoriées différemment en fonction des us et coutumes et sous plusieurs noms et langues, par des témoins généralement peu pris au sérieux ?...

Riez donc !
Mais le « retraité » repassera bientôt là où j’habite ^^.


Christina Goh


[1] Article "D'où vient l'histoire du Père Noël" sur geo.fr 

[2] Citation de l'imprimeur et humaniste français Henri II Estienne (1528-1598), extraite de son recueil "Les prémices ou le premier livre des proverbes épigrammatisés" (ou "Des épigrammes proverbiales rangées en lieux communs") - 1594

Photo par Dirk (Beeki®) Schumacher.



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Matricules 78651 et 77161
Article paru dans l'ouvrage "ALLIANCE - Dialogue avec l'ombre qui espère. Anthologie".


Certains individus que vous n’avez jamais croisés, laissent pourtant parfois en vous une trace indélébile.
Ni idéalisation, ni condamnation, ni saints, ni martyrs, ils sont comme un écho de ce qui vous semble le courage et la renaissance.
Ils font partie de ces êtres qui me donnent jusqu’à aujourd’hui la force de me lever chaque matin, de rassembler ce qui me reste de force. De composer avec un monde qui m’échappe, qui me dépasse et d’avancer quand même.

Pour elle : vivre l’enfer sur terre, avoir vu mourir ceux qui sont si chers, puis libérée de la prison la plus atroce qui soit, croire encore à l'amélioration du système au point d’aller passer un baccalauréat ! Transcender sa propre existence, son clan, pour vivre fermement comme une HUMAINE. Jusqu’à faire graver sur une épée de l’Académie Française son matricule de prisonnière.
Et lui : protester, manifester pour l’ouvrier, par AMOUR et pour la dignité, vivre l’enfer sur terre, avoir vu mourir ceux qui sont si chers et malade dans un camp, crever comme un chien, mais sur un poème de Baudelaire chuchoté in extremis par un de vos anciens élèves, destinée qui vous a retrouvé.
Simone Jacob Veil [1] et Maurice Halbwachs [2] ont été les matricules 78651 et 77161 et me donnent la force d’y croire encore, quand tout s’écroule de part en part. Croire au courage, en l’humain sans condition, au beau, au rêve. A la belle intention. Sans aigreur, cynisme, ni fureur et leurs tragiques conséquences. Construire avec ce qui reste. Ce qu’on a. Essayer au moins.
 
Dans une chambre, à cinq heures du matin, dans un petit village de France, je me réveille en sursaut d’un cauchemar où la loi avait changé pour le néant. Le mot, si précieux à mes yeux, ne comptait plus. C'était juste le silence et l’odeur de la mort, les coups mortels ou la fuite en fonction de son nom et ses opinions... 
En regardant le chat qui venait voir si j’allais bien, j’ai pensé très fort aux MATRICULES 78651 et 77161. Je me suis levée et je suis allée réveiller mes enfants pour l’école.


Christina Goh


[1] Simone Jacob Veil (1927 - 2017), magistrate et haut fonctionnaire française, promotrice de la réconciliation franco-allemande. Matricule 78651 au camp de concentration d' Auschwitz-Birkenau.

[2] Maurice Halbwachs (1877 - 1945), sociologue français, membre du Collège de France, créateur du concept de "la mémoire collective". Membre du réseau Vélite-Thermopyles. Matricule 77161 au camp de concentration de BuchenWald.



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"Poésie, jazz et concept"
Extrait Avant-propos – Livret « JASMIN (Simple) » à paraïtre le 4 mars 2022.
Sortie officielle de l’album « JASMIN » – Avril 2022


La poésie et le jazz sont liés depuis bien longtemps, Boris Vian témoigne encore.

En toute humilité il s’agissait plutôt dans « JASMIN » de croiser ces deux univers dans une perspective très personnelle et conceptuelle : simple et anodin témoignage d’une artiste du 21ème siècle technologique, relatant la puissance d’émotion d’auteurs célèbres ou discrets. Poètes qui auront, dans tous les cas de figure possibles, changé en profondeur mon existence.

Laisser ici, en un album musical, la trace de ce parfum précieux et unique, partagé, sublime, comme la pudeur et la sincérité qui caractérisent leurs écrits, qui m’ont bouleversée, qui font transcender le pire pour avancer, construire, en préservant le fragile enthousiasme. Ce ne sont bien souvent pas leurs mots, mais des poèmes chantés, après maintes recherches et recoupements, pour évoquer leurs écrits poétiques. Œuvre intrinsèque délicate, de détails, air subtil fredonné qui aura survécu et qui se transmet : JASMIN.

« (Re)sentir »…

Odes à Yves Bonnefoy, Aimé Césaire, au talent de Itoua Sayi Rolvi ; vibrante Phillis Wheatley, Pierre-Yves Léglise… Lieux et « non-lieux », vision d’une alliance intemporelle et universelle poétique au-delà d’un océan qui chante encore. 

Merci aux musiciens qui m’auront accompagnée dans ce périple.






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"J'étais là"


Combien sont-ils à avoir disparu des radars ?
Puissent-ils reposer en paix. 
Antilles, Afrique de l'Ouest, ils ont voulu tout embrasser. Années 80. Enfants de Caraïbes françaises ayant décidé de traverser l'Atlantique pour vivre sur ladite « terre mère ». Oui je les ai connus avec mon regard et mes oreilles d'enfant. Avec ou sans argent. Une autre époque. Une autre vie.

Antilles-Afriques, les défricheurs ont existé. 
Ces filles courageuses disparues trop tôt, et dont on disait en ville « pour mettre une antillaise dans son lit, il suffit de parler d’amour, pas besoin de payer… » Ces jeunes hommes qui avaient connu les câlins et le riz au lait de maman, « ils sont trop mous » ; ceux qui ont fini dépendants aux substances ou derrière les barreaux… « Métisses gâtés » ? Noir n'était pas noir ? 
Je revois parfois leurs visages et me souviens des accents dits « bizarres » à la sauce créole. Je me rappelle encore du costard blanc du tonton du restaurant immaculé.

Je revois ces mères aux regards hagards ou baissés, autrefois dites jolies, abandonnées au bord du chemin, aux arrêts des difficultés socio-économiques de conjoints acculés par leurs familles, attendant jusqu'à la mort. Ou encore les divas, maîtresses en déni, ignorées de leurs îles, qui n’avaient que les bijoux pour se consoler et la frime pour oublier. Et certains de ces descendants d’esclaves devenus nouveaux propriétaires snobs de plantations ou de dynasties reconstituées sur la terre de l’origine.

Me revient, cette jeune fille amoureuse, aux nattes lisses, dans la vieille pirogue du campement. Elle voulait apprendre à lire à la petite bonne que tout le monde ignore. Je me souviens des foyers hybrides, "No man's land" de nappes madras, de masques du village, de photos de Paris, de l’odeur du rhum qui console et de musiques du carnaval essayé. 

Années 80 et des Antillais Français d'Afrique de l'Ouest.
Le billet d’avion hors de prix, juste pour ceux qui peuvent et le retour sur l’île pour acheter (encore) à coup de cadeaux l’affection de ceux qui vous ont déjà oubliés. C'est un kit. « Afrique ? (Quelle idée !) Mais pourquoi es-tu parti vivre si loin ? » Retour impossible ou qui rend fou.

Antilles-Afriques, les défricheurs ont existé. 
Ils n’ont aucun regret mais ont connu le fracas des accidents des routes des mers.
Ô Héros ! Sans Wikipédia, blogs dédiés et Google map, combien ont pris le chemin sans connaître, sans savoir, pour découvrir au prix fort ou pour construire ? Soi, une famille ou une nation. Lentilles et dombrés au pays de l’atchekey. Bananes plantain mangées simplement bouillies. Oui aussi. Et les femmes en robe pour apprendre le pagne. Les tresses parfois pour garçonnets et fillettes avec les « C'est quoi cette coiffure au juste ? » à bien des carrefours.

Leurs tombes se trouvent, oubliées ou perdues, sur le continent ; ils se sont souvent éteints, moqués ou incompris, sur l’île. Leurs fantômes hantent aussi les mers. 
Déchirés entre les cultures et les terres.
Qui se souvient encore de leur courage et de leurs failles qui nous apprennent ?
Ils dorment au creux de ma mémoire. Parfois me réveillent. Ils me rappellent que la planète bleue, c’est de l’eau.


Christina Goh
"Voix oubliées (j'étais là)" - Hommage aux Antillais disparus ayant vécu en Afrique de l’Ouest dans la décennie 80. Avec podcast. Lien.




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Extrait ADMIRATIO
L'infiniment petit est l'infiniment grand



« L'azote dans notre ADN, le calcium de nos dents, le fer dans le sang, le carbone dans nos tartes aux pommes ont été faits à l'intérieur d'étoiles qui se sont effondrées. Nous sommes faits de poussières d'étoiles. » 

Carl Sagan (1934 – 1996), cosmologiste, astrophysicien comptant parmi les fondateurs de l'exobiologie.

« Il ne s'agit pas seulement d'étoiles qui s'effondrent, mais aussi d'étoiles qui fusionnent, d'étoiles qui rotent, d'étoiles qui explosent et du début de l'Univers lui-même. »

Jennifer Johnson, astrophysicienne américaine, coauteure du graphique sur l’origine des éléments du système solaire. Extrait tiré du blog Science Blog From The SDSS. 

Les éléments qui nous composent sont des tissus vivants de molécules. Ces dernières sont constituées de quelque sept milliards de milliards de milliards d’atomes de carbone, d’oxygène, de fer, d’azote, de calcium. Quatre-vingt-dix-sept pour cent d’entre eux sont d’origine stellaire (fabriqués au cœur des étoiles). Ce sont ces mêmes atomes que l’on retrouve dans les arbres, les fleurs et tous les animaux. 
Si les scientifiques s’accordent à dire que nous sommes poussières d’étoiles, le vivons-nous dans notre expérience au quotidien ? Voyons-nous cet universel dans notre intimité ? 

Pourtant, tout nous l’évoque… 


Reviendrai-je sur le sel de notre sueur qui se fond dans celui des mers ? Comment ne pas entendre le bruit de ces vagues de sang, celles de l’intérieur de notre corps, quand on porte à notre oreille ce grand coquillage issu de l’océan ? Et ce feu intérieur qui nous traverse en continu et nous rend conducteur, une vérité qui nous tient loin de nos lignes à haute tension, des orages et de ses tonnerres… Poussières du désert, celle du vent ou des étoiles… 
Oui, l’infiniment petit et l’infiniment grand semblent se fondre l’un dans l’autre. Comment compter les grains de sable, nombreux, comme ces points lumineux lointains, ces galaxies répertoriés par nos engins ? Oui, un monde dont nous ne connaissons ni le commencement ni la fin, et pour quelle échelle de grandeur ? 

Oui, j’ai toujours été admirative de l’immense étendue de mon ignorance. J’y trouve toujours une source inépuisable d’humilité quand je me laisse aller à l’illusion de maîtriser quoi que ce soit...



Christina Goh
Extrait de ADMIRATIO (Petit registre tenu pour l'émerveillement)


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Quand est-ce que la vie est devenue un film ?


C’est la question que l’on pourrait se poser sous Covid-19.
Et comme lors du visionnage d’un film, les réactions sont diverses et variées pendant sa projection, parfois extrêmement intenses…
Est-ce donc la seule analogie que nous avons pu trouver pour faire face émotionnellement à la catastrophe du SRAS-CoV-2 ?



Ruban pelliculaire

Il est tentant c’est vrai de concevoir ces derniers mois comme une fiction qui s’achèvera bientôt. Se demander « quels auteurs ont pu écrire ce mauvais scénario ? » et se comporter quelque part comme si le film allait bientôt se terminer pour que nous reprenions une vie normale…

Discuter au besoin et bientôt autour d’un verre, de la mauvaise distribution de l’œuvre, et critiquer allègrement cette histoire dite et redite sur écran, sur papier, sur tablette depuis la nuit des temps : une alliance inédite de héros pour contrecarrer les plans de l’infâme mutant qui souhaitait détruire la planète…

Oui, car dans ces histoires imagées à succès du 21ème siècle, le « méchant » est toujours très fort et nécessite toute une armada de talents pour le combattre. Comme si chacun des héros ne pouvait rien faire à son niveau. Surhumains et gentils mais incomplets et impuissants jusqu’à la scène finale... Le méchant lui est isolé puisqu’il règne par la crainte jusqu’à sa mort, mais avant, il a la puissance de tout détruire, vlam ! Tellement fascinant que des « spin off » sont même réalisés pour mieux le comprendre ce « bad » : comment est-il né ? Comment est-il devenu si destructeur ? Débats et thèses… Et les malheureuses victimes de cet homme "blessé devenu méchant", de cet extraterrestre prédateur ou de ce parrain de la pègre, de ce politique corrompu ou de ce magnat impitoyable des affaires, ne sont toujours que des dommages collatéraux, oubliées ou disparues au plan suivant. Qui valorisent l'action du collectif de héros. C’est un film. Rappelez-vous. La mort n’est pas la mort, juste du maquillage et des effets spéciaux.
Mais la réalité est toute autre.

La Covid-19 a tout changé qu’on le veuille ou non. Fermer les yeux ou éteindre l’écran n’y changera rien, cela se passe dans la vraie vie. C’est une affaire de limites et de poumons. Les nôtres, ceux de la planète ou ceux d’un homme couché à terre qu’on empêche de respirer.
Puis tout qui se cristallise... La tétanie, les morts comptés ou non, les masques recommandés ou pas, et l’incertitude. L’inquiétude pour l'avenir, les crises de paniques (1), la révolte devant l’inconnu, "les autres", les fantasmes, les idées fixes, le passé du présent, le triste défoulement et sa violence (2), les nuées de la pyramide d'un dit système ou le regard continu vers le ciel… Et puis ceux qui préfèrent dormir, manger ou tout oublier, faisant semblant de ne rien ressentir, sauf le plaisir, puisque tout est déjà fini… Détresses.

Au milieu de tout ça… Il y a les faits : une grippe qui frôle, qui s’évanouit, qui vous imprègne (3), qui laisse des traces (4) et qui tue. A l'image de ces pandémies (5) qui bouleversèrent des millions d’êtres humains au cours des siècles. Comme une première grippe dont les symptômes furent décrits par Hippocrate il y a près de 2 400 ans.
Nul monstre imaginaire. Mais nous ne sommes qu’au 21ème siècle… Peut-être ne sommes-nous pas encore assez matures pour accepter que nous sommes des humains. Fragiles. Qui ont besoin d’eau, qui ont besoin d'apprendre à subsister face au soleil, aux vents violents, aux virus.

Nul besoin de supers pouvoirs, le héros de cette époque est peut-être celui qui aura réussi à admettre que la maladie survient parfois dans la vie sans que nous sachions pourquoi elle frappe les uns et pas les autres. Et comme pour un accident tragique, comme pour une erreur qui coûte… Cela fait mal. Ai-je essuyé mes larmes ?

Humilité face à son humanité. Sait-on tout ? Et si non, acceptera-t-on le fait que nous avançons un pas après l’autre depuis toujours ? 


Christina Goh
Le 13 mai 2021



[1] COVID-19: les recherches «attaque de panique» ont atteint un niveau record ; Article du 25/08/2020 ; https://quebec.huffingtonpost.ca/entry/covid-19-recherches-attaque-de-panique-ont-atteint-niveau-record_qc_5f4568f2c5b697186e2dc8bf

[2] L’ONU met en garde contre la persistance des violences domestiques après la COVID-19 ; https://www.un.org/fr/coronavirus/articles/persistence-of-domestic-violence-post-COVID-19

[3] Poumons, foie, reins, cœur, nerfs... le Covid-19, une maladie multicible - Article Le Monde du 25 avril 2020
https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/04/25/le-covid-19-maladie-virale-multicible_6037777_1650684.html

[4] Covid long : 60% des patients hospitalisés ont encore des symptômes 6 mois après – Article Le Figaro 10/05/2021 ; https://www.lefigaro.fr/sciences/covid-60-des-patients-hospitalises-ont-encore-des-symptomes-6-mois-apres-20210510

[5] Article Business Insider France du 11/10/2020
https://www.businessinsider.fr/comment-les-plus-grandes-pandemies-ont-change-le-cours-de-lhistoire-185593


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Le rire et le sens - Rencontre avec Stoni Dèh


Rencontré dans le cadre du concours international La Différence à la Bibliothèque Nationale de Côte d’Ivoire, l'humoriste ivoirien Stoni Dèh m'aura marquée par son histoire particulière.


Avec plus d’un million d’abonnés au compteur en mars 2021, Stoni Dèh surprend et vient de loin.
Quand, j’aborde son univers, « Les Gbês de Stoni », je m’attends sans illusion à découvrir un revanchard prêt à mordre pour s’imposer et dominer. Je me trouve plutôt face à un jeune Ivoirien étrangement passionné, un brin idéaliste malgré son enfance douloureuse (1), travailleur acharné. Ses chaînes déploient tout l’apanage de son savoir-faire acquis sur le terrain et son travail d’auteur, de comédien et de vidéaste. Il me rappelle une Côte d’Ivoire originale, entière et ouverte sur le monde que je connais. Celle des « Faut pas fâcher » (Ne te fâche pas en argot ivoirien)…


Un des sketchs à succès de Stoni me trouble particulièrement : celui d’un couple attaqué par un bandit. Ce dernier leur permet de dire quelques mots avant d’être abattus. L’homme et la femme, sentant leur fin proche, dévoilent des vérités terribles faites de trahison et de lâchetés assumées au quotidien. Le bandit, surpris puis dégoûté, préfère s’enfuir avec son butin et les laisser face à eux-mêmes. Le sketch se termine avec le couple courant après le malfrat en suppliant : « Pardon, tu ne peux pas nous laisser comme cela, pas après avoir avoué ce que nous sommes ! »
Cette vidéo résume à elle seule ce qu’est l’œuvre de Stoni Dèh : une plongée réaliste dans l’âme humaine mais décrite avec les codes de la culture, du langage et de la socialisation à l’ivoirienne. Sans jugement, Stoni laisse le spectateur prendre ses décisions tout seul, comme un grand. Une responsabilisation de ses abonnés qui plaît, visiblement, et qui rassemble toutes les générations et tous les niveaux.


Stoni, un paradoxe.
Le diplômé en lettres et linguistique de l’Université Félix Houphouët Boigny, rappeur ivoirien des premières heures, aura choisi d’écrire son talent autrement. C’est un autre air : celui de scripts, de personnages originaux et de reportages qui prennent en compte l’outil numérique à l’heure où le streaming ouvre toutes grandes les portes de l’exploration.
Le conteur du village africain a toujours aimé l'hyperbole (2), Molière (3) utilisait l’art de la farce, Henri Duparc (4), l’humour tous azimuts, Jim Carrey (5) est virtuose du faciès comique, le jeune Stoni aura choisi sans le savoir de suivre humblement leurs pas : faire rire pour mieux penser. Une recette idéale : décontracter nos corps engourdis par les problèmes et les angoisses en nous faisant rire sans malice et avec douceur de nos drames… En un clic. Mieux-être.


Mais le spectateur doit être prévenu. L’œuvre de Stoni Dèh détonne parce qu’elle illustre la Côte d’Ivoire du quotidien : des gens qui se « cherchent » jusqu’aux tontons et tanties qui « donnent », des vendeuses d’eau, des dragueurs illettrés impénitents (le pays comptait 53% d’analphabètes en 2018 (5), jusqu’aux jeunes cadres dynamiques... Sans le plan triomphant du drone ou le contraste violent des couleurs d’un étalonnage sur commande.

Les créations de Stoni Dèh évolueront sans doute. Je lui souhaite bien de partenaires et de moyens, et un jour, je n’en doute pas, je le suivrai, derrière mon écran, réalisant un direct live spontané bien à sa sauce, pour remercier ses fans pour sa dernière récompense... Mais aujourd’hui, ces modestes lignes témoignent de l’instantané d’un créateur authentique, qui, avec les moyens à sa disposition, transmet l’espoir d’une nouvelle génération avec ses qualités et ses failles. Une jeunesse qui est née, qui a grandi et étudié en Afrique, qui a choisi d’y vivre, de s'y épanouir tout en aimant l’autre et son monde. 


Christina Goh


(1) Emission C’Midi de nov. 2018 – Avec pour invité Stoni sur la prévention, la souffrance psychologique et les relations familiales toxiques. https://www.youtube.com/watch?v=l4A2SjY_Llo 
(2) Hyperbole : figure de style consistant à exagérer l'expression d'une idée ou d'une réalité afin de la mettre en relief.
(3) Molière (1622 – 1673), comédien et dramaturge français, créateur de l’Illustre Théâtre, recueille de la farce souvent non seulement la thématique, mais aussi certains types de personnages, voire certains effets gestuels... La farce se définit par la nature même de son comique, qui se fonde sur l’effet de déformation réjouissante d’une situation ou d’un personnage représentant une certaine norme. Source http://www.toutmoliere.net/farce.html
(4) Henri Duparc (1941-2006), cinéaste ivoirien, reconnu comme le maitre de la comédie africaine, dépeignant les sociétés africaines d’après-indépendance avec humour, ironie et tendresse.
(5) Jim Carrey, acteur, humoriste, scénariste et producteur de cinéma canado-américain, connu pour son rôle à succès « The mask » et son comique extrêmement visuel.
(6) Taux d’alphabétisation, total des adultes (47 % des personnes âgées de 15 ans et plus en 2018) - Source UNESCO. https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SE.ADT.LITR.ZS



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Hommage à l’auteur Mirabeau (1749-1791) 
(1791 - 2021 / Anniversaire des 230 ans)



Révolutionnaire et monarchiste, idéaliste et marchand, militant pour l’abolition de la traite négrière en plein 18ème siècle de l’esclavage (il fit partie de la Société des Amis des Noirs*), libertin et amoureux éperdu, fugitif et prisonnier, militaire et orateur, il trouva l’équilibre tout en surfant sur les vagues des passions… Ainsi vécut Mirabeau, héros pour certains, zéro pour d’autres, premier à entrer au Panthéon français, premier à en être exclu… Une seule certitude : il fût prince de bien des cœurs malgré son apparence atypique ; lui-même déclara : « On ne connaît pas toute la puissance de ma laideur » !


Mais de quelle laideur s’agit-il donc ?


Ni les cicatrices de petite vérole sur le visage, ni la férocité de son corps (hydrocéphalie) ou encore ses traits marqués n’auront pu l’empêcher de vivre pleinement son goût du beau : Honoré-Gabriel fût un esthète, de l’accoutrement jusqu’au langage en passant par le raisonnement, sans complexes… Et pourtant l'homme vient de si loin…
Oui, Mirabeau fait partie de ces humains qui ont transcendé leur propre vie à force de croire en leur intime ressource. Celle, authentique, tapie au fond de soi, qu’on est censé protéger, garder précieusement, que bien souvent on préfère renier en se disant : « C’est trop difficile, je ne pourrai jamais tout recommencer »...

Si, on peut.
Mirabeau a su.

Dépasser son apparence physique et son dictat.
Transcender la méconnaissance et les clans.
Ignorer les préjugés des sociétés et… Aimer, jusqu’à être condamné à mort quand la femme de sa vie, Sophie de Monnier, mariée par son père à un homme de quarante neuf ans son aîné, se fait arrêter et enfermer parce qu’ils ont fui ensemble.


 Etait-il fou de vouloir concilier les mondes ?

Le député populaire du Tiers-Etat a-t-il trahi les révolutionnaires en conseillant le Roi Louis XVI en secret ? (Ces derniers décidèrent de l’expulser illico du Panthéon post mortem quand ils le découvrirent)… A-t-il trahi la Monarchie en faisant payer ses services de « consulting » avant l’heure par le roi ?
Mais et nous ?
Ne saurions-nous pas que « tous les charlatans sont des commerçants mais que tous les commerçants ne sont pas des charlatans » ? **
Ainsi soit-il.

Car qui, dans une même vie, aura survécu à la honte et à la persécution familiale, à la maladie, à la faillite, à la prison (plusieurs fois), au trauma de guerre, au deuil (y compris la mort de ses deux enfants), à la trahison ? Qui aura survécu à la mise au ban de la société, à la pauvreté, à l’exil, au succès, à la gloire, à la flatterie et à l’envie, qui aura échappé à la peine de mort, tout cela dans une seule existence ? (Il est décédé à 42 ans). Mirabeau.


Où qu’il repose aujourd’hui, (son corps ne fût officiellement jamais retrouvé après qu’il ait été « jeté » en fosse commune), Mirabeau parle encore quoique mort.

N’est-il pas est l’un des auteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui changea nos vies ?

Merci Honoré-Gabriel.

« Fussé-je beau comme Adonis, j'aimerai que notre petite fille ressemble à sa maman uniquement. Sais-tu ce qu'elle fera, notre petite (car elle aura tout plein d'esprit ) ? Elle prendra en nous ce qu'il y a de meilleur : chez toi, ton joli teint, ton esprit et ton caractère, ton charme inouï, tes grâces et ta beauté ; chez moi, l'immortel amour qui brûle pour toi dans mon cœur depuis toujours ; chez tous deux, le courage, la candeur, la générosité, la sensibilité, et la fidélité de notre amour : en un mot, la petite Sophie-Gabriel prendra de sa mère tout ce qui est aimable et bon, ses qualités et ses charmes, et de son père elle lui empruntera seulement ce qui a plu à sa maman… »
Mirabeau ; Lettres à Sophie (1777-1780)


Christina Goh


* Première association française abolitionniste, créée le 19 février 1788 pour concourir à l'abolition de la traite des noirs.
** Citation transmise par Y. Duhard
Illustration : portrait de Honoré-Gabriel Mirabeau par le graveur allemand 
Fiesinger


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 Le viol du sanctuaire de l'intimité 



« On ne peut laisser la chasse systématique aux politiques se dérouler "normalement", quotidiennement. »
Cette citation est extraite de la lettre laissée par Jean Germain, juriste, maire de Tours et sénateur d’Indre et Loire, dont la vie privée comme publique faisait désormais bien de gorges chaudes avant son suicide en 2015. Un goût amer et comme un triste écho du suicide d’un autre homme politique en 1936, Roger Salengro, maire de Lille, député du Nord et ministre de l’Intérieur de Léon Blum, qui, sous les projecteurs de la polémique mettant en doute son passé de prisonnier de guerre, mettra également fin à ses jours.
Le cri de Edvard Munch
Depuis ces jours sombres et autres évolutions, en décembre 2018, une effigie du Président de la République Française était décapitée par des manifestants à Angoulême et relayée publiquement sur les réseaux… Violences « normales » du champ politique entendait-on ici et là, bien loin du sens de la racine étymologique grecque du mot « politique » qui signifie simplement « citoyen »…

Des citoyens comme les autres mais aussi victimes des préjugés sur leur intimité : entre 2017 et 2018, en France, le nombre de victimes d’actes criminels ou délictuels anti-LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres) enregistrés progressait de 33 %. (Source Interstats Info rapide n°11 - Mai 2019 Ministère de l’Intérieur). « "Les personnes lesbiennes, gaies, bi et trans se suicident en moyenne 4 fois plus que le reste de la population", rappelle l'Inter-LGBT (L'inter-associative lesbienne gaie bie et trans). En cause : les insultes, les violences, les discriminations. » (1)

Une société de plus en plus fiévreuse ?


Pendant ce temps, la violence des adultes se répercute jusque dans les cours de récréation.

Le suicide des 5-12 ans alarme les spécialistes. Bien que méconnu, il a une réalité chiffrée: environ quarante suicidés de cette tranche d’âge par an en France en 2012. « Pour ceux qui sont clairement établis comme tels. Car il y en aurait de nombreux autres qui échapperaient à la statistique, sous les masques de l'accident » (2)
Dans l’Essonne, en 2018, Thybault, douze ans, amateur d’échecs et de chant, se suicidait par pendaison suite à des « difficultés relationnelles » à l’école. « Une affaire de « happy slapping » (agression physique filmée et diffusée sur Internet) est tout de même remontée aux oreilles des militaires. Une enquête a été ouverte à ce sujet. » Citation extraite de l’article du journal Le Parisien du 13 décembre 2018. Le happy slapping ou vidéolynchage est une pratique consistant à filmer l'agression physique d'une personne. Le terme s'applique à des gestes d'intensité variable, de la simple vexation aux violences les plus graves, y compris les violences sexuelles.

La violence est le caractère de ce qui se manifeste, se produit ou produit ses effets avec une force intense, brutale et souvent destructrice selon le Larousse. En droit pénal, une précision, elle est le fait d'agir sans le consentement de la personne intéressée…
Un mot clé : l’assentiment.
L’acte par lequel quelqu'un exprime son adhésion, son approbation à une idée, une proposition formulée par un autre. Sans cette permission, c’est le viol d’un sanctuaire, celui de la liberté.


Mais l’intimité, sa précieuse nécessité, et le respect de l’opinion de l’autre ont-ils encore une place dans une société où le viol ne serait envisagé que comme sexuel ?

Car le viol, intrusion dans l’intimité, n’est pas que physique, il relève aussi du mental. Une irruption brutale dans l’intériorité de l’individu dont les répercussions peuvent être catastrophiques.

L’outrage de sa zone réservée, le non-respect d’une vie qu’on ne souhaite pas être dévoilée ; et dans le périmètre de la légalité, la réserve et le secret, ne sont-ils pas une garantie de la liberté ?

Car comme dans tout viol, la victime violée psychologiquement devient souvent la personne mise en cause ou qui subira toutes les moqueries. Quand s’y ajoute parmi d’autres humiliations, l’insulte qui va hanter l’individu concerné et renforcer sa vulnérabilité, le pire n’est-il pas à prévoir ?

Dans la loi, constitue une injure « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait » (article 29 de la loi sur la liberté de la presse de 1881). Une injure est adressée délibérément à une personne dans le but de la blesser moralement en cherchant à porter atteinte à sa dignité…

Le mot violence nous vient du latin "violencia" et du latin de "violentus", issu du verbe "vis" (verbe "volere") signifiant "vouloir".
Vouloir quoi ?
La destruction de celui qui ne pense pas comme soi ?


Christina Goh


Sources
(1) Article « Les homos se suicident plus : une campagne choc pour prévenir » publié dans L'Obs le 5 février 2015
(2) Article Le suicide des 5-12 ans alarme les spécialistes par Delphine de Mallevoüe, publié dans Le Figaro le 27 janvier 2012.



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La notion de santé et nos secrets
(Les indices de l’étymologie latine)
Article écrit par Christina Goh pour le projet Ut Fortis


« Car vous me permettez, Nastenka, de faire mon récit à la troisième personne parce qu'à la première j’aurais terriblement honte. » Les Nuits blanches de Dostoïevski (1).

Dans ce court passage où le héros s'épanche, est évoqué l’espace d’un instant, le fait de faire semblant d’être un « il » (la troisième personne) pour mieux se confier... Qui est ce « il » ? Peut-être celui qu’on pense vraiment être.
Et de quoi-a-t-on honte ? De son état réel ?
Tout serait-il là ? Le secret de la situation d’un individu dans une société où la santé envisagée communément semble une évidence ou un salut : santé physique, santé financière, sociale, santé mentale…
« Quand la santé va, tout va », « à votre santé ! »...  Si tant repose sur la santé au point que le langage le reflète à ce point, remonter à la racine étymologique du mot permettrait-il de mieux comprendre ?


Le mot santé vient du latin sanitas et salvus.
Dans « La santé et la vie » de André Pichot (2), chercheur en histoire des sciences, les variations étymologiques du mot « santé » exposées par l’auteur sont parlantes :
« En latin, sanitas signifie « santé du corps », mais aussi « santé de l’esprit, raison, bon sens… Et, si « sain d’esprit » équivaut à « raisonnable », « la santé pourrait être au corps ce que la raison est à l’esprit ».
Mais qui définit donc ce qui est « raisonnable » ?
Certains s’y sont essayés au niveau mondial.


Les partisans de l’éugénisme au milieu du 20ème siècle sont parmi leur nombre. Avec zèle, Hitler en tête, ils militaient pour une « bonne santé » et une sélection pure, dans tous les sens du terme, privilégiant les êtres « indemnes de nombreuses affections graves » (3) pour préserver au mieux l’espèce humaine selon leurs critères. S’en est suivi l’euthanasie ou l’exécution de milliers, à commencer par les malades et handicapés mentaux. Faire du sport, manger sain et pas-le- temps-de-déprimer-sur-le-futur pour les plus jeunes, les jeunesses hithlériennes occupaient mais pour des raisons trop obscures…


Un peu plus d’un siècle plus tard, où en est-on ?


Faire du sport, manger sain, et être libre de déprimer… Ou pas.
Pour aller mieux, certains ont choisi l’option de développer leur religiosité. Et nous rejoignons en étymologie le deuxième mot latin d’où est issu le terme « santé » : Salus ou salvus « qui signifie d’abord « entier, intact », mais aussi « sain, en bonne santé », ainsi que « salut »… Le salut. Tellement obsessionnel ou désiré qu’il est devenu une expression d’introduction commune : « Salut, tu vas bien ! »…
Pourtant la plupart des religions, qui prônent un salut, nous ramènent à la considération d’autrui. Un exemple avec le Christianisme : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Le texte biblique nous renvoie à l’autre…
Retour au « il » pour mieux comprendre « je ».
Merci Dostoïevski, romancier de son empire.


Serait-ce donc que l’art est partie prenante d’une meilleure santé ?

Courbe du coeur. Cardiogramme.
Là encore l’étymologie latine donne une piste. Simplement se rappeler de « Sanitus », qui a donné « santé » en français… En anglais, le terme a dérivé en "sanity" (santé mentale, jugement sain) mais aussi "soundness" (santé, solidité, solvabilité) ou encore "sound" (sain, solide, bien portant).
Sound, qui veut aussi dire son ! Le son étant une vibration d’onde matérielle (4)… Qui pourrait nier que cette planète terre est remplie de vibrations, à commencer par celles émises par le cœur qui bat dans la poitrine que vérifie méticuleusement le médecin ? Et pour le commun des mortels, nul besoin d’être entendant pour sentir son pouls !
Dans le roman « Les Nuits blanches », cité au début de cet article, le héros terriblement seul peut s’épancher et parler de lui à la troisième personne à Nastenka parce qu’ils s’écoutent dans leurs différences un instant… Pour tenir.

Et si la santé, c’était d’abord d’être à l’écoute ?
Ecoute de son propre corps mais aussi écoute de l’autre, du monde… Pouvoir parler sincèrement avec autrui. Un bon point de départ pour aller un peu mieux ?


1. Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski (1821 – 1881), romancier russe. 
2. André Pichot, « La santé et la vie », Philosophia Scientiæ [En ligne], 12-2 | 2008, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 21 août 2019. http://journals.openedition.org/philosophiascientiae/101 ; DOI : 10.4000/philosophiascientiae.101 
3. Définition de l’eugénisme par le Conseil d’Etat –Source https://www.cairn.info/revue-sciences-sociales-et-sante-2012-4-page-65.htm 
4. Définition du son par le Larousse.


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Le renouveau du mythe
(Article sélectionné sur Mondes Francophones, revue mondiale des francophonies).


Thor de la mythologie nordique
affrontant les géants, M. E. Winge, 1872
Une symbolique forte, des thèmes récurrents autour de la marche du monde, de la nature. Des histoires racontées par les anciens aux plus jeunes et qui se sont transmises depuis la nuit des temps.
Sous tous les cieux, la mythologie a prétendu apporter sa perspective aux questions existentielles des peuples.
Gréco-romaine, aborigène, arctique, indienne, celtique, amérindienne, sumérienne, maya, nordique, égyptienne, slave ou touareg… Une multitude de récits différents pour une même finalité : la transmission de valeurs.

Quel que soit son origine, le profil de cette mythologie antique se dessine : la prise en compte d’un monde invisible, la présence de dieux, ou génies et de héros, pour une nature vibrante et habitée. Ces caractéristiques se déclinent en fonction des lieux, des peuples et une symbolique universelle riche et subtile.

De nos jours, Disney aurait de quoi être inspiré et ne s’est pas gêné avec le succès populaire qu’on lui connaît pour l’adaptation de nombreux mythes et légendes… Au cours de l'exercice fiscal 2018, la Walt Disney Company a généré un chiffre d'affaires total de 59,43 milliards de dollars américains et plus important, fait partie du quotidien de nombreuses familles à l’échelle internationale (I).

Le plébiscite des ouvrages des auteurs des Inklings parle également de lui-même :
Ce cercle littéraire informel de l’université de Oxford à partir de 1930, regroupe les auteurs de best sellers des deux derniers siècles : C. S. Lewis (L’épopée du Monde de Narnia, qui puise ses sources dans les mythes grecques entre autres), J. R. R. Tolkien (père des volumes du Seigneur des Anneaux, inspirés de la mythologie nordique).

L’Inde quant à elle, a tout de suite privilégié les épopées mythologiques pour la télévision et le cinéma, des adaptions de la Mahabharata jusqu’au succès mondial de « La Légende de Baahubali » en deux parties (2015 et 2017), produit simultanément en quatre langues – télougou, tamoul, malayalam et hindi, considéré comme l'un des films les plus chers et les plus rentables (II) du cinéma indien…

D’où proviennent ces mythes fondateurs source de tant d’inspiration ? Les passionnés ont pu remonter jusqu’aux tablettes les plus anciennes. Adaptées et réécrites à l’infini, à l’image de l’incroyable diversité des éléments constitutifs de cette planète, nos origines et notre évolution conservent pour beaucoup cette part de mystère qui permet la recherche ou l’imaginaire et l’inventivité. De ce fait, la multitude des personnages et des versions de ces mythes est censée éduquer celui qui les écoute ou qui les lit, à une ouverture d’esprit sans commune mesure avec différentes implications…

Une mondialisation des mentalités ? Certainement.
Pour Laurent Carroué, géographe français, la mondialisation n’abolit ni l’histoire, ni le temps, ni la mémoire des faits d’un côté, ni l’espace, ni les distances, ni les territoires, ni les sociétés et cultures de l’autre » (III). Elle est une construction systémique, la fois géohistorique, géoéconomique, géopolitique, sociale et culturelle.

Des Grecs installés sur le territoire indien, fabriquant des Bouddhas qui seront exportés jusqu'au Japon... Cela pourrait paraître familier et pourtant… C’est un exemple du commerce dit « au long cours » datant… de l’Antiquité ! Depuis, la commande peut se faire par téléphone ou internet.

De la lingua franqua, jargon parlé au 17ème siècle sur la mer Méditerranée composé de français, d'italien, d'espagnol et d'autres langues, qui s'entendait par les matelots et marchands de quelque nation qu'ils soient selon Antoine Furetière (1619 – 1688) (IV), lexicographe français, jusqu’aux illustrations mythologiques qui ornaient les plafonds du Versailles de Louis XIV (pour mieux exporter l’artisanat français), la prédominance culturelle de la mythologie implique-t-elle un état d’esprit ?
Au vu du succès des conventions et salons spécialisés internationaux consacrés aujourd’hui aux passionnés de Tolkien, de Star Trek, de mangas et de mythes de Bollywood ou de Disney… Sans doute.


Pour Aristote, « l'amateur de mythes est philosophe en quelque sorte, car le mythe est composé de merveilles »… (V)


Legba pour les Yorubas d’Afrique de l’Ouest, Athéna chez les Grecs, Hanuman en Asie… Trois exemples de guides pour plus de sagesse... Et dans ces mythes, les éléments de la nature toujours personnifiés se révèlent susceptibles : l’eau, l’air, le feu, la terre… Censés être respectés (l’écologie avant l’heure ?) pour ne pas subir de courroux…
Mais aujourd’hui, l’ancien raconte-t-il encore au coin du feu l’histoire du mythe fondateur de ce qu’il croit être les origines symboliques du soleil et de la lune ?

Après le raz de marée de la vague rationaliste propre au 19ème siècle (« qu’est-ce que Jupiter auprès du paratonnerre, et Hermès à côté du Crédit mobilier ? » se demandait Marx) (VI), la symbolique poétique du récit mythique semblait avoir fait place à un pragmatisme sans concession.
Ne plus respecter l’eau parce qu’elle est personnifiée (la diversité des êtres aurait visiblement ses limites), mais pour permettre l’utilisation raisonnée des ressources...
Au fil des époques et des continents, à la mythologie antique et aux vieux contes semblaient s’être substitués des histoires aux préoccupations plus terre à terre et une nouvelle morale… Semblait-il… Car en y regardant de plus près…

Pour de nouvelles générations, la mythologie et la notion de héros se sont transmises autrement.
Faut-il parler des mythes antiques qui ont inspiré J.K. Rawlings pour Harry Potter ? Georges Lucas déclare : « quand j'ai fait "Star Wars", je me suis consciemment mis à recréer des motifs mythologiques classiques. Et je voulais utiliser ces motifs pour traiter des problèmes qui existent aujourd'hui ». (VII)


Amorcée timidement un peu avant le milieu du 20ème siècle, un renouveau des mythes suit son cours dans ce 21ème siècle, et l’essor numérique a amplifié le phénomène.

Pour les cinq cents ans de Léonard de Vinci, au Centre Val de Loire en France où ce dernier repose, est évoqué un nouvel esprit « Re-naissance » (IX)...
René Rémond (1918 – 2007), historien et membre de l’Académie Française, caractérisait une Renaissance par l'apparition de nouveaux modes de diffusion de l'information, la lecture scientifique des textes fondamentaux, la remise à l'honneur de la culture antique (littérature, arts, techniques), le renouveau des échanges commerciaux et les changements de représentation du monde...

La Légende de Zelda, jeu vidéo japonais au succès planétaire (quinze records pulvérisés dans le livre Guiness des records) depuis 1986, en constitue bien un symbole : inspiré des mythologies japonaise, celtique, nordique, à l’avant-garde des nouvelles technologies, ce jeu a diverti plusieurs générations dont certains éléments sont aujourd’hui décisionnaires, dans le monde entier.


Une nouvelle réalité ?

En mai 2018, un bison blanc femelle est née au zoo de Belgrade (IX) et pour beaucoup, rappelle la légende de la femme Lakota bison blanc (Pte San Win) de la mythologie amérindienne (nation Lakota) de 2000 ans d’âge annonçant un « renouveau », déjà très évoquée pour des naissances en 1994 et 2005. L’Internet a permis le relai de l’information du zoo, une nouvelle qui serait passée totalement inaperçue autrement.

Surfant sur la vague, on ne peut plus compter les œuvres contemporaines sur les super héros de toutes sortes, les œuvres indépendantes s’inspirant des mythologies ou de l’Antiquité… Les plateformes internationales de vidéo streaming annonçant pour 2019, une série en langue arabe sur le mythe des djinns…

Il n’y a pas plus de limites aux combinaisons du binaire du numérique qu’il n’y en aurait dans les arbres généalogiques des mythologies du monde entier. Et la sauvegarde de la planète n’a jamais été autant à l’ordre du jour au sens littéraire et littéral : En Nouvelle Zélande, le fleuve Whanganui est (depuis le 15 mars 2017) légalement considéré comme « personnalité juridique, avec tous les droits et les devoirs y afférents » (X). Quant à la prise en compte de l’invisible, le souci de composer ou non avec des bactéries dans notre quotidien, nous fait déjà évoluer dans une dimension où nous interagissons avec ce que nous ne voyons pas (sans microscope) !


Nonobstant certains pronostics et préjugés, cette ère technologique est celle de la communication et des échanges pour une majorité d’amateurs de philosophie de tous âges, de toutes nationalités et d’un genre nouveau... A considérer peut-être autrement.

Christina Goh


Mentions
I. Chiffre d'affaires mondial de la Walt Disney Company pour les années financières 2006 à 2018 (en milliards de dollars des États-Unis) https://fr.statista.com/statistiques/571153/chiffre-d-affaires-mondial-walt-disney-company
II. Shekhar H. Hooli, « 'Kabali' box office collection: Rajinikanth starrer fails to beat 5 records of 'Baahubali' (Bahubali) » [archive], sur International Business Times, 9 août 2016
III. Mondialisation - Ressources de géographie pour les enseignants - http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/mondialisation
IV. Dictionnaire universel (1690) par Antoine Furetière
V. Aristote, Métaphysique, 982b18-19.
VI. Karl Marx, Le Capital
VII. Interview de Georges Lucas (anglais) https://billmoyers.com/content/mythology-of-star-wars-george-lucas/
VIII. https://toursloirevalley.eu/lesprit-re-naissance
IX. Article Le Point https://www.lepoint.fr/insolite/rarissime-naissance-d-une-bisonne-blanche-au-zoo-de-belgrade-30-05-2018-2222661_48.php
X. Article CNN Mars 2017 https://edition.cnn.com/2017/03/15/asia/river-personhood-trnd/
This river has the same legal status as a person By Philip J. Victor, CNN.
X. Article CNN Mars 2017 https://edition.cnn.com/2017/03/15/asia/river-personhood-trnd/
This river has the same legal status as a person By Philip J. Victor, CNN.


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- Le masque du bourreau 
(Article sélectionné sur Mondes Francophones, revue mondiale des francophonies).


En littérature, le masque selon le Larousse, est l’apparence trompeuse sous laquelle on s'efforce de cacher ses vrais sentiments. Et des exemples sont cités : « Ôter le masque ». « Jeter le masque »… Un visage artificiel conçu soigneusement qui laisserait croire ce qui n’est pas dans un objectif connu uniquement par le porteur de l'artifice.
Camouflage de guerre, maquillage de carnaval, cagoule du vandale ou double face de l’escroc ou du meurtrier des âmes, dans tous les cas, l’inconnu derrière un masque agit souvent selon une stratégie que lui seul semble maîtriser…
L'image sombre d'un bourreau cagoulé et appliquant froidement la mort a même pu marquer de nombreux esprits... Et pourtant...


Bourreau médiéval
Forteresse Pierre-et-Paul Russie

Le bourreau sans le masque

Ils ne portaient pas toujours des cagoules... Au cours de l’histoire, certains bourreaux chargés après les procès, des exécutions des condamnés à mort, n’ont pas cherché à préserver leur anonymat. Ils assuraient l'exécution des arrêts de justice appelées « les hautes œuvres » à visage découvert, et plus troublant, certains sont devenus étrangement célèbres pour leur fonction. C'est le cas de Anatole Deibler (1863-1939) qui essaya d’échapper à son destin en devenant vendeur, mais qui finalement, suivit la tradition familiale en assurant les exécutions des grands criminels en France (au début du 20è siècle) jusqu’à sa propre mort (d’un arrêt cardiaque) (I). Nulle dissimulation vestimentaire pour le célèbre Deibler que tout le monde savait exécuteur en chef des arrêts criminels et que la foule venait voir « travailler » avec une couverture des médias de l’époque... Anatole Deibler, un mystère quant à la gestion des émotions et du faciès pour la conduite de ce métier funeste ? Cela ne fait aucun doute.


Le masque sans le bourreau ?

L’exemple du carnaval et de ses déguisements semblent dans ce contexte fort approprié. Pendant un laps de temps déterminé, un certain nombre d’individus se mettent d’accord pour se masquer les uns pour les autres (II). Les masques sont les rois de la fête mais leur utilisation repose sur ce qui semble être un accord de fait entre les carnavaliers : « Je ne sais pas qui tu es en réalité. Voilà le jeu ». La parade devient une illusion assumée qui s’évanouira après la semaine du mardi-gras.
Mais même dans le cadre de ce moment éphémère, on retrouve tout un art de la préméditation pour assurer le succès des mascarades : le choix du déguisement, le soin apporté à son accoutrement ou son maquillage… Dans les contrées où le carnaval est une tradition religieusement suivie, certains comités dédiés travaillent sur leurs thématiques pendant toute une année…

Masques - Carnaval de Venise


A dessein oui. Le projet semble être un des particularismes de base de celui qui se masque, bourreau ou non.


Au cours des années 30, en France, le Comité Secret d'Action Révolutionnaire (CSAR) dit « La cagoule », pour renverser un gouvernement qu’il accuse d’être « aux ordres de Moscou », s’organise grâce à l’implantation de nombreuses caches d’armes réparties dans Paris et l’utilisation des égouts, pour « renverser » le pouvoir en place tout en prétextant des mouvements de protestations populaires. Attentats de l’Etoile à Paris, la peur du communisme ouvre la porte à tous les complots et là encore, un art de la dissimulation sans équivoque. Personne ne sait où frappera « La cagoule » jusqu’à sa chute lors de la révélation du putsch raté de la nuit du 15 au 16 novembre 1937 (III)… Autres cagoules, autres violences avec le port de masques dans certaines sociétés pré-colombiennes pour des sacrifices humains, les robes masquées des anciennes photos d’exécution de groupes racistes... Douloureuses réminiscences de l’histoire humaine.


Cependant et dans un contexte bien plus intime, le masque du bourreau peut aussi être très subtil, un  « deuxième visage » : le conjoint victime de violences psychologiques et physiques peut en témoigner. Le « partenaire bourreau » n’était souvent pas celui qu’il paraissait au premier abord jusqu’à ce que le masque tombe.

En Haute-Corse, le dimanche 5 mars 2019, Julie Douib, 34 ans et maman de deux enfants, était assassinée à son domicile sur L'Île-Rousse. Elle avait été battue et violentée pendant son mariage et avait déposé plusieurs main-courantes depuis sa séparation. Selon la procureure de la République de Bastia, la jeune femme aurait manifestement été tuée par son ex-conjoint, avec qui elle était séparée depuis six mois. Ce serait le compagnon de la victime qui lui aurait tiré dessus à deux reprises. Il s'est présenté dans la foulée aux services de gendarmerie pour se constituer prisonnier... (IV)


Oui, la préméditation d’un méfait et la blessure d’un autre. C’est le plus souvent ce qui justifie l’utilisation d’un masque, quelque justification que l’on puisse se donner.
Hors d’un cadre de convenances, à l’image de la scène, des arts et des costumes, hors des lois discutées et établies par tous, le masque cache souvent un bourreau de soi-même et des autres.



Christina Goh


Mentions

(I) Gérard Jaeger, Anatole Deibler, l'homme qui trancha 400 têtes, Félin, 2001.
(II) « Carnaval » dans le Dictionnaire de l'Académie française, sur Centre national de ressources textuelles et lexicales.

(III) "11 septembre 1937 : Le Complot de la Cagoule" - de Clélia Guillemot - Gallica  Bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale de France
(IV) Article "Trentième victime de féminicide depuis le 1er janvier" de Jeanne Sénéchal paru dans Le Figaro du 6 mars 2019. 
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- 21ème siècle : de nouveaux codes -


Curieuses et violentes railleries sur les origines de certains membres de l’équipe de France après la victoire des Bleus à la coupe du monde de football en Russie en 2018. « L’Afrique a gagné » pouvait-on lire ici où là, faisant référence pour certains, au nom ou à la couleur de peau des joueurs dont les parents étaient natifs de pays africains [I].
Ces réactions, qui ont semblé attrister les joueurs, dévoilaient à quel point la couleur de la peau, pour certains qui s’indigneraient d’être qualifiés de racistes, pouvait compter et ramener à la définition d’une identité.

Photo Life Magazine


En Indre et Loire, une conseillère départementale séquestrée par sa famille d’origine Kabyle qui refusait de la voir épouser un petit-fils de Harki, a été délivrée in extremis par les forces de l’ordre en juillet 2018 [II]. Là encore, une violence psychologique, verbale mais aussi physique, utilisée par leurs proches contre des amoureux connaissant leur l’histoire, mais ayant choisi de vivre leur présent…

Un peu plus tôt, en juin 2018, le Zénith affichait complet lors du passage du groupe de K-pop sud-coréen GOT7 à Paris en France. Tout un concert en langue coréenne pour un public de toutes les couleurs né après 2000. Un concert dont les billets sont partis en trente minutes sur le web, sans aucune publicité à la télévision ou à la radio ! [III] Magie de l’Internet où la langue, l’origine et l’apparence, sont des options.

Bienvenue dans le XXIème siècle, où l’on peut choisir d’être.

Multiculturel XXIème siècle, où un artiste belge comme Jonathan Cerrada choisit de vivre et de chanter dans la langue nationale en Indonésie et suscite l’enthousiasme [IV], où le djembé traditionnel africain accompagne du rock psychédélique américain [V]... Un processus qui a commencé depuis longtemps mais qui aujourd’hui est d’une actualité criante (voir l’exemple des nouvelles données plus haut) et amorce une société où l’on peut aimer sa peau, ses origines ou sa religion tout en se définissant selon d’autres cultures et d’autres valeurs, issues d’autres civilisations. Avec la profusion de données à disposition, dans un monde décloisonné, il y a désormais et plus que jamais cette possibilité…



Les gardiens des traditions restent indispensables, c’est indéniable. Comment pourrait-on choisir sans connaître ? Et comment connaitre sans expertise ? Mais dans cette ère, les tenants des connaissances anciennes ne peuvent plus être des tyrans au risque de disparaître... Secret ou non, aujourd’hui, même le savoir n’est plus qu’une proposition.

Joël des Rosiers, dans son « essai sur les patries intimes » multi primé (dont la célèbre récompense Prize for Independent Scholars attribuée par la Modern Language Association en 2014), interpelle sur la notion de « métaspora » :
« Arimée au XXIème siècle, la métaspora exprime les expériences culturelles et sociales du sujet altéré, prince de sang en situation d’épochè, définie comme « un acte de suspension des préjugés », acte aussi d’imagination, suspendu à la racine de nos méconnaissances.» [VI]

Cette ère vient sonner le glas de la violence préconisée par l’amertume des « psycatrices » (mot inventé par Desrosiers) de ceux qui s’accrocheraient encore à la nostalgie d’un monde divisé en noir et blanc, sans aucune nuance, où en apercevant un individu dans la rue, on pensait savoir à qui on avait à faire, en se basant uniquement sur son apparence ou son nom…

Dans ce siècle, il est plus que jamais nécessaire de communiquer d’abord avec l’autre pour prétendre savoir qui il est.





Mentions
[I] Article France TV https://www.francetvinfo.fr/sports/foot/coupe-du-monde/france-championne-du-monde/l-afrique-a-gagne-estime-le-daily-show-apres-la-victoire-des-bleus-au-contraire-d-obama-qui-salue-le-succes-francais_2854857.html
[II] Article La Nouvelle République https://www.lanouvellerepublique.fr/tours/sequestree-par-sa-famille-l-elue-en-plein-cauchemar
[III] Article site spécialisé Nautiljon https://www.nautiljon.com/breves/sold+out+pour+got7+en+30+minutes+pour+leur+concert+parisien,7414.html
[IV] Article Charts in France http://www.chartsinfrance.net/Jonatan-Cerrada/news-107474.html
[V] Article Info-Tours http://www.info-tours.fr/articles/tours/2016/09/21/4740/christina-goh-une-voix-en-fusion/
[VI] Page 51. Joël des Rosiers – « Métaspora – Essai sur les patries intimes ».



Christina Goh. 27 juillet 2018

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