Imaginaire


Pur imaginaire et science-fiction que j'affectionne...
Après Daniel Lika, le poète au milieu d'une pandémie mondiale, voici l'aventure d'un jeune votant de bonne volonté, pris dans la tourmente d'une semaine historique pour son pays. Belle lecture !

Christina Goh

-------------



LES 4 EPISODES DE CET ECRIT SONT EN ORDRE CHRONOLOGIQUE. 




En 2145, la famille Legrand-Chai offre au Musée International pour la Mémoire des Siècles (M.I.M.S.), pour sa section « 2eme décennie du 21ème siècle », quatre pages du Journal du fondateur de la Mondial Institution for Priority to Education, association apolitique à but non lucratif, qui fut récompensée mondialement pour ses actions en faveur de la paix à deux reprises (en 2120 et en 2144).
« Nous sommes heureux d’offrir ces pages qui marquèrent la prise de décision de Karim Pierre Legrand (2005 - 2102) pour s’investir pour la protection et l’éducation de tous les enfants sans distinction. Il fonda l’Institution en 2033 et nous sommes convaincus qu’il aurait été heureux de partager son expérience et cette semaine particulière du 1er juillet 2024 qui fut décisive dans sa vie. »



-------------


Extrait du journal de Karim Pierre Legrand. Pièce d’archive n°305-L/124 du M.I.M.S.
Don de la famille Legrand-Chai.

 
-------------



Lundi 1er juillet 
Cher Journal,


Enfin les vacances !
Je pensais détente, nuit blanche (évidemment) et dodo. Je rêvais.
Pas possible. Trop de stress.
Trop triste.

Depuis que j’ai reçu ma carte électorale c’est chaud. Chacun me presse dans la famille de voter son candidat.
C’était déjà complexe depuis que Marc a décidé d'adhérer au parti de la Grande Liberté Internationale. Ils ont des réunions qui finissent tard, il rentre au petit matin et il fait du bruit. Cela perturbe mes habitudes, du coup je mange en plein 4H du matin et je vais encore prendre du poids. Je lui ai dit à Marc, de rentrer plus tôt, mais il m’a expliqué que cela n'était pas possible. Je le cite : « des familles comme la nôtre, crèveront la bouche ouverte en travaillant pour les ultra riches. Tu es trop naïf ! »
Partager sa chambre avec son frère, c’est compliqué. 

Maman, de son côté, poursuit mon vote depuis qu’elle assiste aux meetings de Angeline Lecompte du Parti La Sauvegarde Territoriale. Au début je me suis étonné, parce qu'il s'agit du parti La Sauvegarde Territoriale, or le père de maman est étranger, de Lacéralos. Et dès qu’elle le peut, maman y va pour voir grand-père, et on mange lacéralosien à la maison. Mais maman m’a dit une fois en chuchotant, d'être discret sur le sujet, qu'elle avait pris sa carte de parti pour sauver la famille d’une « invasion » et de la violence. Je ne comprends toujours pas. Elle a peur de la violence alors que la guerre est déjà à la maison. Marc et elle ne se parlent plus. Ambiance.

Papa, du coup, est le seul qui ne me dit pas pour qui voter. Il suit la ligue de football. C’est à peu près tout. Je lui ai demandé hier, alors qu’il s’apprêtait encore à m'aider à réparer la douche, pour qui il allait voter. Il m’a dit qu’il ne savait pas. Qu’il verrait la tête qui ne le dégoûte pas car les meilleurs étaient morts.
Papa est vraiment déprimé.

Et moi, je suis un peu paumé.
Je veux faire quelque chose de ma vie. Même si c’est dur à la fac. J’essaie de marquer des points avec les profs en TD. Pas facile de s’acheter les bouquins et parfois ils sont déjà pris à la bibliothèque. Pas facile mais j'aime les lettres, tu sais comme je veux être prof. Tu sais comme l’école m’a aidé, avec Madame Dinard. Trop forte ! Je veux pouvoir faire comme elle pour d’autres. Caroline m’a aidé un peu parfois à la fac. Elle a reçu sa carte de vote, tout comme moi. Elle m’a dit qu’elle voterait l’Unitaire Populaire qui défend la cause des femmes et que si j’étais vraiment un gars bien, c’est ce que je ferai. Qu'elle ne ferait pas comme ses parents qui votaient pour Le Parti Le Pays depuis dix générations. Youssouf et Luc ont rigolé quand elle a dit ça. Youssouf a dit qu’il voterait pour que le président puisse travailler. Qu'il trouvait ridicule de voter un président et de ne pas lui donner les moyens avec des représentants. Luc a dit que de toute façon, c’était tous les mêmes et que la planète ne comptait pas. Après, je les ai perdus. Même schéma que maman et Marc. Toujours en train de se prendre la tête. Je ne veux pas me disputer. 

J’ai préféré lire les flyers que j’avais reçus. Ils annoncent des mesures économiques que je ne maîtrise pas. Chaque mesure pourrait être le titre d’une thèse. Je suis en première année de lettres ! Comment font-ils Caroline, Youssouf et Luc pour choisir en connaissance de cause ? J’ai essayé de voir les débats télévisés mais les candidats n’arrêtaient pas de s’envoyer des vannes. C’était la guerre comme entre Maman et Marc quand ils se parlent pour mieux se détester.

Cher Journal, j’ai regardé la carte d’électeur et je me suis dit que j’allais suivre celui qui me ressemble. Celui qui parle sans crier, sans ricaner ou sans insulter. Quand je l’ai dit à Caroline, elle m’a regardé d’un drôle d’air, Youssouf a ri. Ils m’ont dit que je vis dans mes livres.
J’aurai aimé. C’est peut-être pour ça que je t’écris au final. Tu me permets de me relire comme si ma vie était une fiction. Ca devient supportable.

Je vais aller sur le Net. Peut-être que j’en saurai plus.
Je te raconterai. 


Karim



***


-------------

Extrait 2 du journal de Karim Pierre Legrand. Pièce d’archive n°305-L/124 du M.I.M.S.
Don de la famille Legrand-Chai., datée de la première période du 21ème siècle.

-------------

Mercredi 3 juillet 
Cher Journal,

Ce sera court. Trop mal.
Il est tard. Je suis couché. Des bleus partout.
J’étais en train de regarder une affiche électorale quand des colleurs d’affiches sont arrivés.
J’aime bien regarder les affiches en gros plan. C’est vachement bien géré au niveau du traitement graphique, les couleurs aussi.
Au début, c’était sympa, j’ai regardé les colleurs faire. Ils m’ont dit de voter pour leur parti. J’allais leur demander des informations car il y avait un des candidats ! C’était le moment où jamais de pouvoir comprendre un programme, et puis un autre groupe est arrivé.
Ils ont commencé à se disputer. Et avant que je puisse réaliser ce qui se passe, j’ai pris des coups. Chaque groupe pensait que j’étais avec l’autre.
Les policiers sont arrivés et comme je m’étais évanoui, l’hôpital m’a sauvé du commissariat.
Je dois rester au lit pendant trois jours.
Là, Je crois que je vais dormir.

Karim


***



-------------

Extrait 3 du journal de Karim Pierre Legrand. Pièce d’archive n°305-L/124 du M.I.M.S.
Don de la famille Legrand-Chai., datée de la première période du 21ème siècle.

-------------



Samedi 6 juillet 
Cher Journal,


C’est horrible. Le vote c’est demain et j’ai passé ces trois jours à dormir.
Je ne sais toujours pas pour qui voter.

J’ai rencontré Nadia, infirmière, lors de mon séjour à l'hôpital. Elle va bientôt prendre sa retraite. On a sympathisé parce qu’elle voulait savoir si j’étais de la Lamisie. Je lui ai dit que non. Que je ne connaissais pas la Lamisie. Que la famille de papa était de cette ville depuis des siècles, comme la mère de maman, et que le père de maman par contre, venait de Lacéralos. Je lui ai dit aussi que je portais le nom du meilleur ami de mon père à l’armée, qui était mort après lui avoir sauvé la vie en mission. Mais que mon père était revenu handicapé. Elle était très impressionnée et triste aussi pour papa. Moi j’étais content car en général, j’ai du mal avec les conversations.

Je suis rentré à la maison. Je vais un peu mieux, alors dès mon réveil, je suis allé sur le net. Maman a râlé un peu. Je suis allé sur le site officiel du Ministère pour lire les présentations des candidats. Il y avait les professions de foi. J’ai pu enfin mieux comprendre. Il y avait plus de détails. J’étais content, j’ai pu me faire une idée.
En gros, ils veulent tous changer les vies en étant élus. C’est ce que j’ai compris. Ce qu'il m'a semblé comprendre c'est que l’enjeu pour moi, c’était de voter pour celui qui ne me ferait pas mal dans ce processus. J’ai exclu les candidats de maman et Marc qui ont déjà fait du mal à notre famille. Et ceux dont les partisans m’ont envoyé à l’hôpital. Ils ne restaient plus personne.
Je me suis donc dit qu’il fallait revoir ma stratégie, sinon je ne pourrai pas voter. Et je veux voter. Je veux être utile. Peut-être que les partisans comprenaient mal et interprétaient tout par la violence ? 

C’est ce que je me suis dit. Il me fallait voir à la source, quel candidat semblait le plus fiable. Alors j’ai cherché les réseaux sociaux des candidats et des chefs de leurs partis pour comprendre leur feeling, tu comprends ?

Mais là ça a été compliqué.

J’ai découvert que les partis avaient chacun une histoire. Quelle était cette histoire ? Pourquoi ils voulaient que le pays change comme ils le désiraient et pourquoi insister dans le temps ? Ce n’était pas aussi simple que je le pensais. J’ai découvert que les partis n’étaient pas isolés. Qu’ils étaient inclus dans des sortes de plus grands groupes de partis sur le continent et que les chefs de partis pouvaient même être reçus par des pays étrangers !
Et là j’ai pris un coup. Tu imagines ? J’ai pu enfin et à peine commencer à comprendre les programmes, que je devais maintenant tomber dans l’histoire et la géographie !
Marc m’a vu faire toutes ces recherches sur l’ordinateur familial parce qu’il attendait son tour. J'étais en train de chercher les articles qui n'étaient pas payants. Il m'a dit que que si les riches faisaient ce qu'ils avaient à faire, je n'aurai pas à devoir payer pour m'informer. Voilà pourquoi je devais selon lui, aller voter.
Je lui ai juste laissé l'ordinateur. 

Je ne sais toujours pas pour qui voter. Surtout que maintenant j’ai pu voir que c’est une responsabilité aussi pour ce qui va arriver dans le monde. Le vote dans un pays compte aussi pour le monde puisque tout est lié. J’en tremble. Ce n’est pas une mince affaire cette histoire de vote.
Qu’est-ce que je vais faire demain ?

Il faut que je prenne une décision. Et je ne veux pas faire comme papa qui ne croit plus en rien. 
Oh Journal, merci !
En t’écrivant, je réalise !

Qu’est ce qui compte le plus pour moi ?

Ma famille et l’éducation des enfants quels qu’ils soient, parce que je veux être prof. C’est mon projet de vie. Je vais voter le parti qui s'y connaît bien en économie (ça a l’air important) et qui ne méprise pas les gars de l'armée qui ont servi le pays comme papa et que tout le monde a oubliés. Un parti qui pense à l’éducation et à la protection des enfants, quel qu’ils soient, handicapés comme papa, étrangers comme grand-père, ou pauvres comme notre famille. Et il faudra que ce parti se soit battu pour ça depuis son existence et qu’il collabore avec des pays qui croient en ça aussi. Sans la violence. Je vais chercher.

Voilà.
Je l’ai dit à papa. Il m’a dit que c’est un rêve. Moi, je dis que c’est une essence. Je vais continuer mes recherches et je la reconnaitrai.


Karim


***




-------------

Extrait 4 du journal de Karim Pierre Legrand. Pièce d’archive n°305-L/124 du M.I.M.S.
Don de la famille Legrand-Chai., datée de la première période du 21ème siècle.

-------------


Dimanche 7 juillet 
Cher Journal,

J’ai voté.


Karim