Imaginaire

ATTENTION, LES 3 EPISODES DE CET ECRIT SONT EN ORDRE DECROISSANT. 


EPISODE 3 et fin des aventures imaginaires de Daniel. 
Pour rappel, l’idée de ce texte m’est venue à l’occasion de la journée mondiale de la poésie au plus fort de la pandémie et du confinement 2020. Il donne la vision intime imaginaire d’un poète de bonne volonté, Daniel Lika, qui cherche l’inspiration dans l’inconnu d’une crise sanitaire mondiale. Christina Goh

-------------

Dernier extrait du journal de Daniel Lika, archive retrouvée en l'année 2105 dans le bureau numéro 46 du lot 1504-75 des reliques du groupement 106, datée de la première période du 21eme siècle.

-------------

14 avril
Cher Journal,

Quatre ans.
Cela fait quatre ans que je ne t’ai pas donné de mes nouvelles. Je sais... Mais tu comprendras pourquoi…
Je reviens des champs, je suis exténué mais je veux t’écrire.

Oui, les champs.

Vois-tu à la deuxième année confinée, l'ère 2 après le QuirinaCar20... Oui, le calendrier grégorien n'existe plus, il a été redéfini après la première année de confinement en fonction de la date de l'apparition du virus. Nous sommes en l'an 4. C'est devenu une autre vie...

Vois-tu, face à la pénurie, à l'ère 2, nous autres au chômage et issus de l’industrie dite non essentielle, ainsi que de nombreux étudiants, avons été réquisitionnés et répartis pour les activités dites prioritaires. C'est une démarche solidaire. En échange, une fiche de paie retrouvée et la chance de bénéficier de la réduction sur les taxes pour le Service de la Recherche dédiée au QuirinaCar20 et pour celui de la Régulation des Prix du Patroleum.

Mon fils Paul pense qu’il faudrait faire encore plus. Sa fiancée a pu être rapatriée de Panakitéa in extremis il y a quelques années : l'hôtel où elle était en quarantaine forcée, subissait les assauts des habitants locaux terrifiés à l'idée d'être contaminés par des étrangers... Sandra et d'autres ont pu être exfiltrés mais Paul a eu très peur. Elle travaille maintenant pour le Comité des Forces Régulatrices de la Santé, au service du Suivi des Itinéraires des Populations.

Moi, j’ai été affecté au champ. C’est loin de ma formation, je sais, mais le secteur alimentaire est vital. De toute façon, Colette étant partie, j’avais besoin d’une activité. Quelle qu’elle fût. Au champ ou ailleurs, quelle importance ? Je n’en pouvais plus de rester confiné.
Dans d’autres pays, comme au Moyumbich, cela a été pire.... Cher Journal, on se console comme on peut.

Sur les parcelles réquisitionnées qui nous ont été affectées, mes collègues d’agriculture, dans leur ancienne vie, ont été archéologue, trapéziste et bloggeur en physique quantique. Aujourd’hui, nous ramassons ensemble les salades. Je n’ai jamais vu leurs visages, ils sont masqués pour éviter le retour de la contagion comme moi, mais on s’entend raisonnablement bien.

Oui, depuis quatre ans, les choses ont bien changé... Comme mes nouveaux cheveux blancs et mon visage, marqué par les traces des masques.

Un soir, j’ai tout juste pu rentrer pour suivre au calme le grand bilan trimestriel du Comité des Forces Régulatrices de la Santé. Après avoir énuméré les nouvelles mesures, ils ont prononcé ce mot : « incertitude ».

Ils ont dit précisément : « nous avons besoin de l’effort de tous face à l’incertitude de l’évolution du QuirinaCar20, surtout après l'échec des derniers tests type 3 sur le vaccin ».

« Incertitude », cher Journal. Après quatre ans.

J’ai survécu au chômage, à la dépression, à l’interminable attente, à la peur irraisonnée ou pas, aux temps de connexions régulées en confinement, à la mort de Nathan et de Jeanne, au suicide de Colette, mais je n’ai pas pu supporter ce mot : « incertitude ». 
Je ne suis plus arrivé à me projeter. Nulle part.

Puis a surgi du plus profond de moi cette fois, ce mot : « essayer ».
Essayer quelque chose.
Je le voyais tout en lumière...
Essayer de vivre, après quatre ans. Est-ce une idée ou une hallucination ? Je ne sais plus...

Je ne t’écrirai plus cher Journal. Tu n’es que papier pour tous mais bien plus pour moi. Tu le sais. Je te range dans mon tiroir secret, près du bracelet de Colette.

J’ai trouvé un passeur pour la frontière. 
Je pars pour Otrakini demain.

Daniel



***


EPISODE 2 - La suite des aventures imaginaires de Daniel Lika, poète de bonne volonté, qui cherche l’inspiration dans l’inconnu d’une crise sanitaire mondiale.

-------------

Extrait 2 du journal de Daniel Lika, archive retrouvée en l'année 2105 dans le bureau numéro 46 du lot 1504-75 des reliques du groupement 106, datée de la première période du 21eme siècle.

-------------

25 mars
Cher Journal,

Je ne t’ai pas écrit car cela a été dur. Très dur.

Pendant le confinement, j’ai été licencié, mon secteur étant non essentiel. C’était comme si mon monde s’écroulait, à 50 ans, après tant d’années… Car de mon côté, aucun recours, aucun moyen de contacter quelques conseils. Tout le monde est confiné. Et mon cas n’est pas une priorité. J'essaie de toutes mes forces de comprendre, la situation est tellement particulière, nous nous devons d'être solidaires…

Mais je t’avoue qu’un moment, toute la famille a dû dépendre psychologiquement de Colette qui a essayé chaque jour de nous réconforter. Jusqu`à ce qu’un soir, je l’entende pleurer...
Je me suis repris et aujourd’hui, pour les courses à la petite supérette, j'ai découvert qu'il faut faire une longue queue qui va jusqu'à la fontaine.

Paul, qui devait enfin avoir son oral au concours national, n’a jamais pu le faire. Il avait pu réussir à s’en sortir depuis le problème du harcèlement, il avait réussi l’écrit... Il est rentré en dépression, d’autant plus que sa fiancée en voyage d’étude en Panakitéa sur l’autre continent y est coincée. Elle attend un éventuel rapatriement suite à la suspension des lignes aériennes et à la fermeture des frontières toujours en cours… Mais c’est loin, j’ai contribué, en lui envoyant un petit virement en ligne. Mais c’est tellement peu. 

Et puis… On a perdu Nathan.
Il est mort en essayant de sortir de notre campagne pour rejoindre la ville de Moniaty, car dès qu’il a senti les premiers symptômes, avec ses antécédents, il savait qu’il devait s’y prendre tôt pour se sauver. Il a essayé de parvenir à un site hospitalier où étaient effectués des tests sur le Micassyvegetum. Malgré ses efforts, au vu du peu de bus qui circulaient, l'arrêt des trains du soir avec le couvre-feu, aucune possibilité de covoiturage, il est finalement mort du QuirinaCar20. C’était mon meilleur ami. J’en ai voulu au monde entier.

Nathan avait 75 ans, truculent, bon vivant et le rire de Dieu sur terre. Son décès m’a sonné. Avec la mort de Nathan, je suis passé par toutes les phases possibles, mais le choc m’a sorti de la sidération, j’ai pu de nouveau penser...

J’ai entendu que le QuirinaCar20 est semblable à la grande peste des siècles passés. La majorité des personnes se remettaient-elles de la peste ? Car tétanisé par le décompte des décès, il m’a fallu du temps pour comprendre cette phrase : « la majorité des malades du QuirinaCar20 guérit ». 

Alors, si je suis un porteur sain du QuirinaCar20, mes enfants et moi, devons-nous donc rester confinés toute notre vie jusqu’à ce que des hôpitaux adaptés puissent accueillir un grand nombre de malades ? Et comment garantir que des pics d’épidémie ne reviennent pas, il faudrait tout arrêter à chaque fois ? Et si un traitement donne une chance, n’est-il pas possible de faire signer une décharge à tous les malades qui le souhaitent, comme Nathan qui voulait vivre, pour qu’ils soient traités ? 

Je sais que je ne suis pas savant, j’ai confié toute cette analyse en un blog sur le net, j’avais peur, je pensais qu’on allait me tuer ou me faire du mal mais mon site n’a eu que deux vues. La mienne et celle de Colette. Mon opinion n’intéresse personne.

Je suis donc revenu à toi cher Journal… J’ai toujours peur mais je ne suis plus terrassé. Je suis confiné mais je pense à Nathan. Je veux vivre.

Daniel



***



EPISODE 1 - L’idée de ce texte m’est venue à l’occasion de la journée mondiale de la poésie (fêtée le 21 mars). Il donne la vision intime imaginaire d’un poète de bonne volonté, Daniel, qui cherche l’inspiration dans l’inconnu d’une crise sanitaire mondiale. Christina Goh

-------------

Extrait du journal de Daniel Lika, archive retrouvée en l'année 2105 dans le bureau numéro 46 du lot 1504-75 des reliques du groupement 106, datée de la première période du 21eme siècle.

-------------

21 mars.
Cher journal,

C’est la journée mondiale de la poésie et je t’ai toujours écrit en vers à cette occasion, mais là je ne pense qu’au QuirinaCar20.

Ici, je suis confiné, ma famille est confinée, les autres sont sur le terrain.
Je ne suis pas à la rue, donc je ne me plains pas. C’est un défi à relever.

Entre ces 4 murs, j’essaie de respecter les règles, de maintenir un "équilibre de confinement", je télé travaille et je regarde parfois les écrans pour savoir ce qui se passe. Je ne sors que pour un aller-retour à la supérette.

L’école de nos enfants a fermé parce que les plus petits sont des "sources de contagion", d’ailleurs les parcs de jeux de quartier sont fermés aussi pour la sécurité de tous. Et entre voisins, on se salue de loin. Ceux qui se connaissent bien s’approchent un peu. Quels inconscients ! Les salutations peuvent bien attendre... Mais il faut s’encourager et je peux me consoler et espérer l’après pandémie avec l’exemple de Workinky, lieu d'origine du QuirinaCar20, qui dit-on en a terminé avec cette pandémie.

Les frontières sont fermées. Les communiqués officiels des uns et des autres m’exposent au fur et à mesure les nouvelles dispositions via l’écran et à quelques détails près si j’ai bien compris :

- C’est la restriction ou l’interdiction de la circulation des personnes et des véhicules aux lieux et à des heures fixés ;
- La mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être affectées,
- La limitation ou l’interdiction des rassemblements sur la voie publique ainsi que des réunions de toute nature ;
- La réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre l’épidémie du Car20 ainsi que la réquisition de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ses biens…

Franchement j’ai peur.
Mais je dois rester chez moi et sauver des vies. A cause des hôpitaux qui sont débordés et qui sont aidés par les militaires. Apparemment, il y a un remède mais ce n’est pas très clair... Rien d'officiel. Je n’ai pas trop bien compris. J’ai entendu le mot micassyvegetum et j’ai essayé de voir si on pouvait en trouver en gélule ou en tisane mais je suis confiné, dépends des livraisons possibles, et je viens de lire que les livraisons ne seraient bientôt assurées que pour les cas prioritaires… Et je ne suis pas une priorité. Je comprends. Je dois faire ma part et rester chez moi.

Ma femme prie beaucoup. Cela servira qui sait ? Le grand père de Colette est déjà mort du QuirinaCar20 et j'ai lu des interviews de personnes célèbres qui l'ont attrapé, consulté des reportages photos de salles d'hôpitaux débordées... C'est dur...

Aujourd’hui pour essayer de penser à autre chose, j’ai essayé de regarder une vidéo humoristique mais la qualité est un peu dégradée parce que tout le monde est connecté en même temps. On est en campagne et il n’y a pas de fibre. C’est ce qu’on m’a dit. Je n’y connais rien en technique mais je soutiens. De tout cœur.

Cher journal, je dois être franc avec toi, ma raison se dit quelque part, que bientôt, la connexion internet aussi sera peut être utilisée uniquement pour les structures prioritaires. A ce moment-là, je n’aurai plus d’écran sur le monde et le monde ne saura plus ce qui m’arrive...

Mais je ne veux pas penser à ces inepties. On n’est pas dans un film de science-fiction ou dans la trame obscure d’un site complotiste.

Je suis en train de fabriquer une bannière pour mon profil, Je-suis-chez-moi, pour motiver les troupes… C’est la journée mondiale de la poésie et j’aime bien mais je n’ai pu écrire que ces quatre mots. Je n'arrive plus à vraiment penser.

De toutes mes forces, je veux suivre le conseil des astronautes qui ont l’habitude du confinement dans les stations internationales dans l’espace, ils ont dit : il faut voir le but ultime.
Elle passera cette pandémie.

Cher Journal, je ne te rangerai pas à ton endroit habituel sur mon bureau, mais dans mon tiroir secret. Pour la sécurité de tous. J'ai entendu que le virus pouvait subsister sur le papier quelque temps et je ne sais pas si je suis un porteur sain qui transmettrait la maladie...

Daniel